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Corps


par Nicolas Thévenin



RAGING BULL
C’est une présence aussi évidente qu’insaisissable qui liera les films proposés aux élèves A1 de l’École de design de Nantes Atlantique cette année : celle des corps à l’écran. Ainsi, la programmation visera à faire découvrir ou redécouvrir le parcours de quelques personnages entretenant un rapport singulier, désiré ou subi, épanoui ou contrit, à leur propre corps. Comment ce dernier peut-il être la matière première d’un récit ? Comment peuvent être filmées ses représentations tourmentées ? À la fois sujets et centres de la mise en scène, les corps féminins et masculins observés seront des moteurs fictionnels et autant de miroirs tendus au spectateur ainsi qu’à la relation qu’il cultive avec sa propre enveloppe physique.

Conçue selon une continuité et un rapprochement des films par paires, cette réflexion sera engagée par le sport ; plus précisément la boxe anglaise, comme investissement violent mais codifié du corps. De la destinée de Jake La Motta devenue biopic opératique grâce à Martin Scorsese dans Raging Bull à l’étrange épidémie qui gagne la salle dans laquelle s’entraîne la petite Toni dans The Fits d’Anna Rose Holmer, un fil se tend et révèle que le corps du boxeur est son être tout entier. Toni, jeune fille au milieu de garçons, à une place qui n’est pas la sienne, à l’écart de la norme, donne la main à Laure qui, suite à un quiproquo, devient un garçon aux yeux de ses amis jusqu’à payer le prix de sa duperie, dans Tomboy de Céline Sciamma. Dans Laurence Anyways de Xavier Dolan, le personnage masculin éponyme veut devenir une femme, et cette transformation physique va conduire son couple dans un tourbillon d’amour et de tensions.
Sous d’autres latitudes, la contrainte sociale s’exerce de la plus littérale des manières, par le biais du travail à la chaîne, sur le corps devenu machine de Charlot dans Les Temps modernes de Charlie Chaplin – corps unique dans l’histoire du cinéma de par la diversité et l’incessant enchaînement des situations dans lesquelles il se retrouve, souvent fortuitement, sans que son apparence ne change, ni son accoutrement ; corps en lutte, également, car il s’agit pour Charlot de rester dans le cadre alors que tout le pousse à sa périphérie, autrement dit à passer hors-champ sous l’effet de diverses turbulences. Dans Human Nature de Michel Gondry, la trajectoire de Puff est inverse : retiré de la forêt dans laquelle il a grandi, il est soumis à un processus d’éducation destiné à le recentrer, jusqu’à ce que l’instinct et la Nature reprennent leurs droits. Chanteuse devenue actrice, Mima évolue dans un corps dont l’image ne lui appartient plus : du fait d’une médiatisation à outrance jusqu’à la starification tout d’abord, puis à cause de l’emprise morbide d’un fan sur sa personne. Perfect Blue de Satoshi Kon, tout en évoquant l’aliénation, dit aussi la capacité infinie du cinéma d’animation à transformer, multiplier, déformer, altérer ou magnifier le corps. En dernier lieu, dans Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol, le désir de sortir de soi et d’un corps aux capacités programmées par codage génétique, comme annihilation de tout choix de vie, ouvrira la réflexion sur les corps futurs et leur possible modelage.

Toute programmation impliquant pour diverses raisons de mettre à l’écart certains films, ce panel ne constitue qu’une infime proportion de ce que le cinéma offre de figurations des corps. Il conviendra alors de les envisager à chaque fois comme des cas particuliers, en se référant, outre la forme spécifique de chaque film, aux contextes historiques et culturels dans lesquels ils prennent place, ainsi qu’au regard de celui qui en est leur premier manipulateur et les guide généralement de l’emprisonnement vers la libération : le cinéaste.

Texte publié à l'occasion de la programmation de l'Ecole de Design pour l'année scolaire 2018-2019