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Romans-pornos, à l'heure du centenaire de la Nikkatsu


par Dimitri Ianni



Lovers are wet / Les amants mouillés
Fondée en 1912, la Nikkatsu est le doyen des cinq grands studios qui ont dominé l’âge d’or du cinéma japonais des années 50. Les traces laissées avant guerre par Kenji Mizoguchi, Daisuke Ito ou Sadao Yamanaka témoignent de son hérédité prestigieuse. Après un intermède (42-54) elle reprend sa production et révèle Yuzo Kawashima, Seijun Suzuki ou Shohei Imamura, et devient un champion du box-office grâce à de jeunes comédiens dont Yujiro Ishihara est la superstar. Mais, quand la télévision envahit les foyers dans les années 60, c’est tout le cinéma japonais qui vacille. L’année 71 est un point de non retour marqué par la faillite du studio Daiei. Au prix d’une véritable révolution, la Nikkatsu est la seule à préserver son système de production de masse en lançant sa série Roman Porno le 20 novembre 71. Soutenue dès ses débuts par les critiques progressistes et les étudiants, elle produira plus de 700 films jusqu’à sa disparition en 1988.

Véritable anomalie dans l’histoire du cinéma, la Nikkatsu en se consacrant à la production quasi exclusive de Roman Porno, tournés dans ses fastueux studios, fait figure "d’Hollywood de l’érotisme". Si une partie des employés qui refusent de s’y soumettre quittent la compagnie, ce sont pourtant des techniciens d’élite, tous détenteurs du savoir-faire de la grande époque, qui façonnent le genre avec dévouement. Contrairement au cinéma pink fauché soudoyant son public masculin par un érotisme bon marché, les créateurs du Roman Porno ne voient dans ses contraintes qu’un alibi pour traduire à l’écran leurs désirs de cinéma. Raconter la passion sous toutes ses formes pourrait être leur mot d’ordre. Sous leurs caméras, la présence des actrices, nouvelles muses, resplendit de milles feux, grâce à la qualité de la lumière et de la photographie. L’on ne peut qu’admirer le talent de Junko Miyashita, Hiroko Isayama ou Naomi Tani, qui se distinguent comme de grandes actrices du cinéma japonais.

En ayant fait le choix d’aller à contre-courant de l’histoire pour préserver le meilleur de leurs traditions, ces artisans de l’Eros que sont Tatsumi Kumashiro, Noboru Tanaka, Chusei Sone, Masaru Konuma ou Takashi Ishii, ont inventé de nouvelles formes narratives capables de saisir l’air du temps. Grâce à leurs chefs-d’œuvre, le
Nikkatsu Roman Porno s’inscrit durablement dans le patrimoine cinématographique japonais.

Dimitri Ianni est critique, journaliste et spécialiste du cinéma asiatique

Texte publié à l'occasion du cycle autour du centenaire de la Nikkatsu, du 2 au 6 novembre 2011