CONTRECHAMP

Carte Blanche à Kantuta Quirós & Aliocha Imhoff 3/3


"Port Huron Project Reenactments" de Mark Tribe et "Révoltes logiques" de Louis Henderson



CONTRECHAMP • FÉVRIER 2014

Les deux projets présentés lors de cette séance explorent les potentiels performatifs de documents historiques et de leur puissance à "faire retour", en étant réactivés par des artistes contemporains.

Port Huron Project Reenactments
Performer le document - Louis Henderson / Mark Tribe
Une carte blanche (3/3) à Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós, commissaires d’exposition

"Toute culture comme toute histoire est un phénomène de pouvoir et de domination, elle piétine les cadavres de ceux qu’elle a terrassés et les ruines de ce qu’elle a détruit. Mais l’histoire est hantée par les fantômes des vaincus et par l’esprit inapaisé des opprimés."
Hélène Bouchardeau

>>> Les deux projets présentés lors de cette séance explorent les potentiels performatifs de documents historiques et de leur puissance à « faire retour », en étant réactivés par des artistes contemporains.
Dans Révoltes logiques (2012), le cinéaste Louis Henderson, part en Egypte sur les traces d’un scénario de film commandité en 1957 par l’ONU sur la “crise de Suez”, intitulé « Blue Vanguard ». Ce scénario retrouvé dans les archives porte la marque de biffures, d’oblitérations, reflets d’une négociation secrète entre les belligérants de la crise de Suez et de la fiction géopolitique que l’ONU se joua à elle-même, présentant son intervention comme décisive pour éviter l’engrenage d’un conflit mondial. Ainsi que le rappelle bien le théoricien du cinéma Erik Bullot, les scénarios de films relèvent de « documents performatifs », de documents destinés à être performés pour produire une situation3. L’enquête de Louis Henderson, sous forme d’un voyage sur les lieux convoqués par le scénario, propose une traduction topographique, une spatialisation historiographique du document et interroge le récit proposé par le film «  Blue Vanguard », à l’aune d’une lecture produite depuis le contexte de l’Egypte du Printemps arabe.
On sait que depuis une vingtaine d’années, artistes ou commissaires d’exposition usent de procédures de re-enactments (de reconstitutions d’événements connus de l’histoire) pour rejouer, re-présenter des performances célèbres de l’histoire de la performance. Si cette esthétique de la reprise se limite à l’histoire de l’art et des expositions comme champ de spéculation et de réécriture, d’autres artistes tels Mark Tribe, Raed Rafei & Rania Rafei, Irina Botea, Jeremy Deller, Christophe Draegger performent un événement historique, un discours politique, remettent en scène une archive, pour mieux révéler les impensés, les angles morts des écritures politiques de l’histoire et en proposer de nouvelles interprétations. Le re-enactement produit « l’archéologie symbolique » (M.Montazami) d’une lutte, d’une guerre, nous rappelant que le présent est un site de production du passé et que toute archive est performative. Reconstituer l’histoire depuis un autre site pour mieux nous en faire entendre les résonnances aujourd’hui et produire des contre-récits historiques. Conçue par l’artiste, théoricien des médias et curateur Mark Tribe, le Port Huron Project Reenactments est une série de re-enactments des discours de protestation des mouvements de la Nouvelle Gauche contre la guerre du Vietnam (Angela Davis, Cesar Chavez, Stokely Charmichael, etc). Chaque événement a eu lieu sur le site du discours original et a été porté par un acteur social ou un artiste à un public d’invités et passants, en pleine guerre d’Irak et pendant la campagne présidentielle américaine, dans le cadre de la manifestation Democracy in America: The National Campaign, organisée en 2008 par Creative Time, ces discours furent diffusés sur MTV à Time Square.
Kantuta Quirós et Aliocha Imhoff

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Port Huron Project Reenactments
de Mark Tribe • USA, 15 min, 2008, VOSTF
Le Port Huron Project Reenactments est une série de re-enactments des discours de protestation des mouvements de la Nouvelle Gauche contre la guerre du Vietnam. Chaque événement a eu lieu sur le site du discours original et a été porté par un acteur social ou un artiste à un public d’invités et passants, en pleine guerre d’Irak et pendant la campagne présidentielle américaine, organisée en 2008 par Creative Time, ces discours furent diffusés sur MTV à Time Square.

Révoltes logiques
de Louis Henderson • France, 2012, 42 min
Révoltes Logiques nous parle de l’Egypte, de 1952 à 2012, des révoltes contre le colonialisme et des révoltes d’aujourd’hui. Il nous parle aussi de l'immensité du monde, des dix sept millions d’habitants du Caire, des trous de l’Histoire, de la géographie changeante des lieux. Ce film -écrit par Léon Robinson- utilise l’Histoire comme une fiction qui peut être manoeuvrée et questionnée. Il s’agit de créer une alternative pour une mémoire de l’Histoire, en dégageant de l’ombre l’histoire invisible, qui n’avait pas été dite jusque là.
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"Tel je me reconnais, voyageur, archéologue de l’espace, cherchant vainement à reconstituer l’exotisme à l’aide de parcelles et de débris" Louis Henderson (…) présente Révoltes Logiques, un film moyen métrage qui nous parle de l’Egypte, de 1952 à 2012, des révoltes contre le colonialisme et des révoltes d’aujourd’hui. Il nous parle de la vastitude du monde, des dix sept millions d’habitants du Caire, des trous de l’Histoire, de la géographie changeante des lieux. Du trouble profond de la mémoire défaillante quand les connaissances lui manquent autant que la détermination à aller les cueillir sur site. (…) Les inflexions de la voix du narrateur – l’alter ego de Henderson – résonnent à nos oreilles : une voix parfaite, inatteignable et présente à la fois, mûre et sensuelle, élégante et rythmée. Une voix qui nous accompagnera tout au long du film, de l’image du double canon, marquant l’entrée de l’Imperial War Museum à Londres, qui ouvre ce récit, jusqu’à la panique paranoïaque qui finira par saisir et envelopper Henderson lui-même, pris à son propre piège – un Louis Henderson, au demeurant, que l’on ne voit jamais mais que l’on sent étranger partout. Par exemple, sur la place Tahir, où il se sent devenir la cible des regards présumés hostiles des égyptiens révoltés qui occupent cette esplanade. (…) Ce film – écrit Léon Robinson – utilise l’Histoire comme une fiction qui peut être manoeuvrée et questionnée. Il s’agit de créer une alternative pour une mémoire de l’Histoire en dégageant de l’ombre l’histoire invisible, qui n’avait pas été dite jusque là. Pour cela le film suit le mode d’une fiction à travers l’agencement de signes inhérents à la réalité et traite l’Histoire comme un film inachevé, une fiction documentaire où Henderson prend à la fois le rôle de cameraman et celui d’acteur » Paul Ardenne 2012

Cette carte blanche s’inscrit dans le cadre de la manifestation Mille ans d’histoire non-linéaire (curatée par Aliocha Imhof et Kantuta Quirós).
La soirée sera présentée par Kantuta Quirós dans le cadre du séminaire "L'artiste en historien" qu’elle anime à l'Ecole Supérieure des Beaux-arts de Nantes Métropole, à l’invitation d’Emmanuelle Chérel et de la programmation Contrechamp.

>>>Sur Mille ans d’histoire non-linéaire 
Depuis quelques décennies, les concepts d’Histoire et de temps historique se trouvent profondément remis en cause. Avec la dislocation des grands récits maîtres (masters narratives) et le tournant postmoderne de l’historiographie, l’Histoire ne peut plus être pensée comme un continuum temporel ordonné, régulé et linéaire, le long d’une échelle du progrès. 
Convoquant des concepts issus de ce renouveau historiographique, la manifestation Mille ans d’histoire non-linéaire (cycle de films, rencontres, performance) s’est tenue du 6 novembre au 18 décembre 2013 au Centre Pompidou et s’intéressait aux temporalités alternatives proposées par les artistes pour repenser la mise en scène de l’Histoire (histoires potentielles, spéculatives, histoires du futur, rétrospectives, projectives, rétrocipatives). 

/////// Collectif Le Peuple qui manque >> ici

Séance


Lundi 3 février 2014 20h30