CYCLES ET RÉTROSPECTIVES

Frontière chinoise (Seven Women)


de John Ford



CARTE BLANCHE CATHERINE CAVELIER • OCTOBRE 2014

USA, 1965, 1h26, VOSTF
avec Anne Bancroft, Sue Lyon, Flora Robson, Margaret Leighton, Mildred Dunnock

En 1935, à proximité de la frontière entre la Chine et la Mongolie. Agatha Andrews dirige une mission protestante américaine de femmes où elle fait régner depuis quinze ans une discipline de fer et une morale puritaine. Mais des pillards mongols menacent la zone frontalière et tentent d'envahir la mission. Le docteur Cartwright fait alors son apparition et sera la seule à faire face au danger. On peut de prime abord trouver original, pour ne pas dire curieux, le fait que Ford ait conclu sa carrière sur ce qu'il convient d'appeler un film de femmes.



Séances

Samedi 18/10 17:00




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LA FEMME DANS L’UNIVERS FORDIEN

On peut de prime abord trouver original, pour ne pas dire curieux, le fait que Ford ait conclu sa carrière sur ce qu'il convient d'appeler un film de femmes. Alors que lui-même fut non sans raison largement considéré comme un cinéaste au masculin, effectuant continuellement un focus sur les amitiés viriles, les fratries inexpugnables, les histoires d'hommes, face à leurs idéaux et leurs fêlures, leurs qualités et leurs faiblesses. Pourtant, Ford n'a jamais nié l'importance essentielle de l'identité féminine au cours de sa filmographie. Mieux, il a dédié une large part de son cinéma à la femme, octroyant à cette figure multiple mais toujours téméraire une place presque centrale, impossible à soustraire de l'étonnante mixture fordienne, tirant de cet effet une partie de sa réussite fondamentale.
Ford, machiste ? Bien entendu, mais pas au sens médiocre et vulgaire du terme. Chez lui, la masculinité élevée au pinacle reflète avant toute chose une véritable notion de justice, d'amour et de loyauté. Mais elle ne serait rien sans cet éternel socle féminin, base de tant de ses personnages d’hommes torturés. Physiquement présente ou absente au fil de ses films, la femme incarne très naturellement le courage et la hardiesse qui sous-tendent un homme. La femme qui attend, conseille, épaule, reste dans l'ombre, fait la preuve d'un tempérament presque surhumain, capable d'encaisser des coups plus durs encore que ceux engrangés par les hommes. Cette femme-là, c'est au hasard Dallas, la prostituée au grand cœur de La Chevauchée fantastique. Angharad, la jeune femme courageuse de Qu’elle est verte ma vallée, ou bien Clementine, la douceur issue de La poursuite infernale, sans parler bien sûr de la femme du capitaine Nathan C. Brittles dans La Charge héroïque que l'on ne voit jamais puisqu'elle est décédée voici bien longtemps. Cette dernière représente néanmoins ce sur quoi Brittles compte encore, ce qui lui permet de rester fier, venant parler sur sa tombe le temps de quelques confidences. Il y aurait tant de films à citer dès lors que l'on pense à cette présence chez Ford, tout simplement parce qu'il en était convaincu dans tout son être, dans ses croyances, dans sa religion.

Le rapport du cinéaste vis-à-vis de la gent féminine a toujours signifié quelque-chose de très complexe au travers de son existence, et qu'il transmet de façon très dense et passionnante dans ses films, avec tout ce que cela signifie de bienveillance et de paradoxes. Ford aime les femmes, toutes celles qui l'ont soutenu dans sa vie, toutes celles qui ont peuplé ses films... Plus encore, il les respecte. Ce qui ne relève absolument pas du même sentiment. Et il les respecte sans doute encore davantage que les hommes. On a pu citer William A. Wellman, Vincente Minnelli ou bien Joseph L. Mankiewicz comme étant des cinéastes dits féministes au sein de l’âge d’or hollywoodien, en tout cas dans ce que ce terme peut recouvrir de déférent et attentionné vis-à-vis des femmes. Nous ne sommes évidemment pas du tout dans une optique de féminisme agressif et anti-masculin, mais bien dans quelque-chose d'égalitaire, ou tout au moins considérant un certain équilibre des forces. Reste que Ford n'a finalement rien à envier à ces cinéastes-là, de par sa position morale générale envers le féminisme, attentif et idéaliste, sévère mais porté par un regard plein de compassion à l'égard de figures régulièrement sacrificielles. On ne peut considérer Ford comme un cinéaste exclusivement masculin dès lors que l'on a conscience de sa perception presque sensitive d'un sexe opposé pourtant souvent décrit dans ses films comme incompréhensible, effrayant même parfois, au raisonnement inattendu et indéchiffrable. Si Ford met la psychologie féminine à distance, c'est tout simplement parce qu'il leur concède une liberté morale presque totale, et dans laquelle chaque femme a pourtant parfaitement conscience de ses responsabilités, ainsi que de ce que l'on pourrait aisément nommer un combat de vie.

Julien Léonard - DVD Classik . juin 2014