CYCLES ET RÉTROSPECTIVES

Les Petites marguerites (Sedmikrásky)


de Vera Chytilova



CARTE BLANCHE CATHERINE CAVELIER • OCTOBRE 2014

Tchécoslovaquie, 1966, 1h14, VOSTF
avec Jitka Cerhová, Ivana Karbanová, Julius Albert, Marie Cesková


Marie 1 et Marie 2 s'ennuient fermement. Leur occupation favorite consiste à se faire inviter au restaurant par des hommes d'âge mûr, puis à les éconduire prestement. Fatiguées de trouver le monde vide de sens, elles décident de jouer le jeu à fond, semant désordres et scandales, crescendo, dans des lieux publics… Vera Chytilova avait alors scandalisé la Nomenklatura à l’Est et époustouflé l’Ouest par sa liberté de ton et son insolence.



Séances

Dimanche 19/10 20:15



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Véra Chytilova, cinéaste rebelle

"Véra Chytilova fut, au même titre que Milòs Forman, Ivan Passer, Jiri Menzel, une des figures phares de la Nouvelle Vague tchèque. Ressorti récemment dans les salles françaises, son film le plus célèbre, Les Petites Marguerites (1966) fut tourné dans la foulée des Petites Perles au fond de l'eau (1965), film collectif, manifeste de ce mouvement de jeunes cinéastes en rupture avec l'académisme socialiste, dont elle avait elle-même signé un des sketches. Farce poétique déglinguée, merveille d'insolence, de liberté et d'inventivité formelle, Les Petites Marguerites faisait l'effet, de fait, d'un coup de pied bien senti dans la tristesse et le « bon goût » du réalisme socialiste.

EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES ET RYTHMIQUES
Puisant autant chez Godard que chez Méliès et les maîtres de l'animation tchèque, passant son récit à la moulinette de toutes sortes d'expérimentations visuelles et rythmique, la jeune cinéaste y mettait en scène deux greluches hédonistes écœurées par la corruption ambiante et qui, plutôt que de se révolter, prenaient le parti d'en jouer ouvertement le jeu. Se moquant de tous et de tout, prenant leur part du gâteau sans demander leur reste en insufflant autour d'elles un chaos ludique, elles révélaient ce faisant les règles tacites de la grande mascarade sociale.

RÉPRESSION SOVIÉTIQUE
Censuré en République Tchèque pour son nihilisme (le gaspillage de nourriture auquel se livrent les deux jeunes anti-héroïnes, notamment, sera pointé du doigt), il sera autorisé à sortir en salles au moment du Printemps de Prague, mais la répression soviétique qui suivra aura pour son auteure la tragique conséquence d'une interdiction de tourner, qui se prolongera pendant sept ans.
L'œuvre de Vera Chytilova ne se résume pas aux Petites Marguerites. Née le 2 février 1929 dans la ville tchèque d'Ostrava, en Moravie, elle a travaillé comme actrice, comme mannequin, comme photographe, comme dessinatrice, avant d'intégrer la FAMU, prestigieuse école de cinéma pragoise, dont elle fut une des premières étudiantes femme.

SOUS LE SIGNE DU FÉMININ
Couronné par le prix de l'Union internationale des ciné-clubs au festival d'Oberhausen, son film de fin d'études, Le Plafond (1962), est souvent considéré comme le coup d'envoi de la Nouvelle Vague tchèque. Cette grande pionnière a d'emblée placé son œuvre sous le signe du féminin, et plus spécifiquement de la condition féminine. Son court-métrage Un sac à puces (1962), par exemple, mettait en scène les ouvrières d'une usine textile. Son premier long, Quelque chose d'autre, faisait un parallèle entre la vie d'une athlète et celle d'une ménagère.
Contrairement à ses camarades Milòs Forman, Jan Nemec ou Ivan Passer, Véra Chytilova n'a pas fui son pays. Contournant l'interdiction qui pesait sur elle à partir de 1968, elle réalisera, avec le soutien d'un producteur belge, Le Fruit du paradis, en 1969. Dans cette fable – une femme trompe son mari avec un assassin en série –, elle poussa plus loin encore que dans Les Petites Marguerites ses expérimentations formelles et narrative. Mais son initiative eut pour effet de renforcer les sanctions et d'accroître son isolement. Comme elle le confia à Michel Field en 1994, sur le plateau de l'émission Le Cercle de Minuit, elle a alors radicalement cessé de tourner : « J'ai travaillé comme jardinière, construit ma maison, et j'ai écrit plusieurs scénarios. »

DE LA LUMIÈRE VERS L'OMBRE
Ce destin de la lumière vers l'ombre rappelle celui d'autres femmes cinéastes avant-gardistes comme Shirley Clarke, aux Etats-Unis, ou Helma Sanders Brahms en Allemagne, la réalisatrice du tétanisant Allemagne, mère blafarde (1980), dont les carrières, résumables à quelques films d'une force éclatante et d'une radicale nouveauté, furent interrompues beaucoup trop tôt, et dont la mémoire a été largement absorbée par celle de leurs contemporains masculins (Cassavetes pour la première, Fassbinder et Herzog pour la seconde).

ARTISTE REBELLE
Après sept ans passés loin des plateaux, la cinéaste accepte, pour recommencer à tourner, de se plier aux exigences de la censure qui lui réclamait un surcroît de « réalisme ». La reprise est d'autant plus difficile que Vera Chytilova a désormais deux enfants à charge. Elle revient aux affaires avec une comédie, Le Jeu de la pomme (1976), puis alternera des fictions (Panelstory, 1979, La Calamité, 1980...) et des documentaires (Prague, cœur inquiétant de l’Europe 1984...).
La chute du mur de Berlin la libère du poids de la censure mais entraîne un nouveau type de problèmes, l'Etat post-communiste n'ayant plus les moyens de soutenir le cinéma national. Pour autant, cette artiste rebelle a continué à faire des films, documentaires et fictions, jusqu'au milieu des années 2000. Sans jamais baisser les bras".

Isabelle Reignier, Le Monde 13 mars 2014