CYCLES ET RÉTROSPECTIVES

Scarface


de Howard Hawks



CYCLE HOWARD HAWKS • DÉCEMBRE 2014

USA, 1932, 1h33, VOSTF
avec Paul Muni, Ann Dvorak, Karen Morley, Osgood Perkins, C. Henry Gordon
NUM • VERSION RESTAURÉE

Dans le Chicago des années 20, un jeune tueur à gages ambitieux devient l’adjoint d’un des caïds de la pègre. Son ascension dans le "milieu" est quasi irrésistible. Mais il a un point faible, son amour pour sa soeur…Les scènes vues dans nombre de films postérieurs ne doivent pas nous faire oublier que ce film fut leur modèle, tant dans la nervosité de la réalisation, le rythme, l’humour aussi. C’est le prototype du "film de gangsters" avec des scènes comme "le massacre de la Saint Valentin" ou l’extraordinaire siège final. Mais l’autre versant du film, le portrait du psychopathe incestueux, enrichit considérablement la peinture de ce milieu d’où émergent aussi, étonnamment, deux portraits de femmes.

Séances

Samedi 20/12 15:00
Jeudi 25/12 16:00
Dimanche 28/12 19:00
Mercredi 31/12 18:30
Samedi 3/01 15:00



"Scarface est un film pour le moins assez solitaire, sorte de rogue en perpétuel mouvement autonome et néanmoins attaché aux concepts de son temps, à la fois audacieux, sociaux et modernistes. Tout d'abord, Scarface ne sort pas de nulle part et n'intervient pas dans un paysage vierge d'approches similaires. Il parvient au public en 1932, alors que le cinéma pre-code bat son plein et donne à voir des films hautement transgressifs, régulièrement immoraux, la plupart du temps assez réalistes dans la peinture de comportements humains discutables et réalistes. Ensuite, il convient de souligner la mode du film social alors très en vogue à Hollywood. L'usine à rêves s'intéresse alors énormément à la bourgeoisie, aux masses, à l'ouvrier, à toutes les sphères d'une société moderne au bord de l'implosion économique depuis 1929. Si la MGM, par exemple, s'intéresse à la bourgeoisie, la Warner, de son côté, préfère la rue et les classes défavorisées. On y croise dès lors le film de gangsters, ces derniers sortant du caniveau pour entamer une carrière criminelle d'envergure, avec commerces illégaux, extorsion de fonds, cruauté, violence et mœurs dépravées. L'inégal mais essentiel et redoutable Petit César de Mervyn LeRoy en détermine les codes essentiels pour la première fois durant l'ère du cinéma parlant. L'Ennemi public de William Wellman en précise dans la foulée les contours, la nature psychologique et la profondeur de champ morale. Les bases sont posées, avec fraicheur et vitalité, et surtout une grande intelligence sensible.
Le genre du film de gangsters est donc né et provoque rapidement une inflation des procédés dramatiques autour de la figure du criminel notoire. Cela étant, les premiers films sont si puissants et vont si loin que la veine du genre s'appuie rapidement sur des films de production plus courante, et dans lesquels la figure du gangster s'adoucit quelque peu.
(...) Or, en 1932, quand
Scarface sort, c'est le choc. Intégral, radical. Un film de gangsters pur, noir et violent, presque insoutenable, qui ne sort ni des studios Warner ni même d'un autre grand studio habilité à procéder à cela … La United Artists, studio de la liberté par excellence (puisque les cinéastes et acteurs venaient y financer en grande partie leurs propres films), est derrière, assurant la distribution et le renom du film. Scarface n'apporte pas seulement quelques nouveautés au genre, il le redéfinit complètement pour en devenir un avatar incontournable. Moderne, le film désire aller à contrecourant de ce qui a déjà été tourné. Il ne s'embarrasse pas de moralité, ose lancer ses personnages dans de longues courses à la violence sans jamais les interroger à propos de celle-ci, et détrône le gangster "produit de la société" et donc victime du "fait social" par le criminel revanchard, ordurier, jamais émouvant, pervers et odieux à tous les niveaux.

(…) Grand film de gangsters, grand film d’action aussi,
Scarface demeure l’un des meilleurs avatars du genre dans l’histoire du cinéma hollywoodien. Moins subtil que ses concurrents de la Warner, le film ne prétend pas être autre chose qu’un énorme pamphlet social totalement destructeur. Howard Hawks a sans aucun doute réalisé l’un de ses plus essentiels chefs-d’œuvre, tout autant qu’une tragédie moderne et nocturne dans laquelle les rues et le bitume ont remplacé les palais antiques et les colonnes de marbre. Il n’a fait qu’en déplacer la substance pour mieux rendre son film intemporel. Une magistrale leçon de cinéma, frontale et dichotomique, excessive et able."
Julien Léonard, DVD classik, 2014

Présentation du film par Mathieu Macheret