Le Cinematographe
Le Cinématographe
Le Cinématographe, salle de cinéma à Nantes et Education à l'image

CYCLES ET RÉTROSPECTIVES

Monsieur Klein


de Joseph Losey



CINÉMA D'HIER ET AUJOURD'HUI • JANVIER-FÉVRIER 2015

France-Italie, 1975, 2h03
avec Alain Delon, Jeanne Moreau, Francine Bergé, Juliet Berto, Jean Bouise, Suzanne Flon
NUM • VERSION RESTAURÉE

Monsieur Klein
Paris 1942. Dans la France occupée par les Allemands, Robert Klein, quadragénaire riche et séduisant, originaire d’Alsace, fait des affaires. Alors qu’il vient de racheter à très bas prix un tableau de maître à son propriétaire juif, il découvre dans son courrier un exemplaire des Informations juives portant son nom et son adresse. Inquiet, il enquête et découvre que son nom figure sur le fichier de la préfecture de police. Un autre Robert Klein existe, il part à la recherche de cet homonyme. Premier film français de Joseph Losey, Monsieur Klein est, selon son auteur, "une fable en guise d’avertissement". Plongeant Klein dans un cauchemar crépusculaire, Joseph Losey livre une réflexion sur l’identité, son obtention, sa quête et sa perte.

"Il y a moins dans Monsieur Klein la volonté de peindre que celle de laisser éclater graduellement la force de l’insensé. Joseph Losey, si précis d’habitude dans ses cadres baroques, pose ici son regard sur l’errance de plus en plus dépouillée d’un homme qui, tout en cherchant son accusateur, apprend la conscience. Si certaines scènes de diners, notamment celle d’Yvry-la-Bataille où Klein pousse l’enquête jusqu’à la grande bâtisse appartenant, semble-t-il, à une famille d’Ancien Régime, s’apparentent à un retour aux sources formelles, Losey retrouve ses premières amours mêlant le mystère au foisonnement."
Ariane Beauvillard, Critikat

"Monsieur Klein est non seulement le chef-d’œuvre de la période européenne de Losey mais aussi le meilleur film du Delon acteur producteur des années 70, lorsque la star française décide de régner en maître absolu sur les films dont il tient le haut de l’affiche. Mais Losey, choisi par Delon, est bien davantage qu’un simple exécutant au service de sa vedette. Delon le sait et l’accepte, car il admire Losey comme il a admiré Clément, Visconti et Melville, et les tensions et accrochages seront moins nombreux que d’habitude sur le tournage du film. Mr. Klein fut un échec public au moment de sa sortie mais ni Losey, ni Delon – si l’on excepte Nouvelle Vague de Godard – ne retrouveront un tel niveau d’excellence cinématographique dans la suite de leurs carrières respectives."
Olivier Père, ARTE

Séances

Dimanche 8/02 16:30
Mardi 10/02 20:30
Lundi 16/02 18:00
Samedi 21/ 02 21:00
Lundi 23/02 20:45



Bande annonce


Propos de Joseph Losey

Qu’est-ce que la personnalité de Delon vous a apporté dans le rôle de Klein ?
Il est difficile de dire qu’il y a beaucoup d’Alain dans le personnage du film, puisque celui-ci n’est pas très plaisant, et je ne veux pas du tout dire cela.
Mais ce personnage est très complexe, et Alain est lui aussi — c'est mon avis, qu'il ne partage peut-être pas — une personnalité assez autodestructrice et à la recherche de sa propre identité. Tous les aspects de sa vie sont d'une grande complexité et souvent contradictoires.(...)
Venu d'un milieu petit-bourgeois, il est aujourd'hui très riche et très cultivé. C'est une autre contradiction. Il est à la recherche d'un père, et il cherche aussi à domi- ner. Toutes ces contradictions sont très profitables à ce rôle. Alain peut porter le plus grand intérêt à quelqu'un. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de constater que sa générosité pouvait être extraordinaire. Il apprit un jour que j'avais des ennuis, et, sans rien dire, il m'envoya quelqu'un avec l'argent dont j'avais besoin. Il ne m'a jamais rien demandé en retour. Le retour a eu lieu ! Mais c'était tout de même une action rare. Il est très secret sur sa vie privée. Il est très brillant, ce qui convenait aux deux rôles qu'il a joués pour moi, car L’Assassinat de Trotsky et Monsieur Klein sont tous deux très brillants et sont jusqu'à un certain point conscients de ce qu'ils font. Mais il reste toujours un domaine où ils n'ont aucun moyen de comprendre et aucun désir de le faire.

Pour la Grande Rafle, vous avez utilisé beaucoup de figurants juifs.
Et ce n'est pas tout : beaucoup de membres de l'équipe avaient une expérience personnelle de cette période. Trauner, par exemple, était un Juif hongrois obligé de faire un travail clandestin pour les décors de Carné. La responsable du casting, Margot Chapellier, qui est extraordinaire, a perdu de nombreux membres de sa famille dans les camps. Claude Lyon, directeur de laboratoire à L.T.C., y a perdu sa mère.
Nous nous sommes adressés à des organisations juives pour la rafle du Vél'd'Hiv. Elles m'ont fourni plusieurs milliers de figurants. Le premier jour de tournage au stade, un certain nombre des personnes les plus âgées ont dû renoncer, parce que cela était trop proche de ce qu'elles avaient connu et qu'elles étaient trop émues pour continuer. Elles vinrent me dire : « Nous ne voulons pas être payés et nous vous ren- dons nos étoiles jaunes, parce que nous ne pouvons supporter de regarder cela pen- dant trois jours. » (...)

Klein doit appartenir à la Résistance : on ne s'explique pas autrement ses stratagèmes.

Bien sûr. C'est pourquoi la fille travaille dans une usine de munitions. Je voulais montrer que c'était un Juif à la Rothschild, qui avait ses soirées musicales, ses com- pagnies féminines, et qui, en même temps, était engagé. Je pense par exemple à Jean Lurçat, homme très cultivé, peintre remarquable, qui devint un chef de la Résistance. Car si vous êtes sensible et éclairé, vous prenez une décision dans certaines circonstances, vous ne pouvez être un bourgeois moyen dînant à « La Coupole ». Comme disait Brecht dans Galileo : « Il est impossible à un homme de ne pas avoir vu ce qu'il a vu. »(...)

Pour la photo de Fisher, aviez-vous pensé à un style pictural particulier ?
Au début, je voulais tourner en noir et blanc. Mais le coproducteur italien a refusé, car il ne pouvait le vendre à la télévision. Avec Fisher, nous avons pensé à des tunnels, où l'on entre, d'où l'on sort, à des silhouettes disparaissant dans le noir. Le pre- mier, c'est le couloir de l'hôpital, puis le couloir de l'appartement de Klein, etc., jus- qu'au dernier, du stade au train. J'ai pensé aussi aux gravures de Gustave Doré pour L'Enfer de Dante, qui ont accompagné ma jeunesse.

Vous évitez la reconstitution réaliste de l'Occupation.
Je voulais que la présence allemande soit réduite au minimum. Je voulais montrer aussi que la vie quotidienne continuait comme à l'ordinaire. Ce film, que j'appelle une « fable en guise d'avertissement », ne devait pas être trop spécifique. Par exemple, dans la réalité, tous les gens parqués dans le stade portaient une étoile jaune. Mais dans mon film il n'y en a que vingt-cinq pour cent environ, car je vou- lais que l'on pense aussi aux stades du Chili et à d'autres stades.

Entretien réalisé par Michel Ciment - Le Livre de Losey - Editions Stock - 1979