Le Cinematographe
Le Cinématographe
Le Cinématographe, salle de cinéma à Nantes et Education à l'image

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Familles


par Nicolas Thévenin



J'ai tué ma mère
J'ai tué ma mère
C’est évidemment et délibérément au pluriel que sera envisagé le thème de la programmation de films destinée aux étudiants de 1ère année de l’École de Design de Nantes cette année : Familles. Existant dans toutes les sociétés humaines jusqu’à en être parfois le fondement ou la souche culturelle, comme support d’une représentation partagée du monde, les familles apparaissent au cinéma avec autant d’occurrences qu’il existe de variations et de nuances dans les liens de parenté, soit une infinité, rendant vaine toute tentative de schématiser dès lors qu’au-delà de leur structuration sont interrogées les sensibilités et tensions qui traversent leurs membres.

Si à une exception près, la programmation est resserrée cette année autour du cinéma contemporain occidental (aussi vaste et protéiforme que puisse être cette catégorie), elle prend nécessairement acte de la récurrence de la présence de la famille à l’écran, convoquée en tous temps et en tous pays de cinéma (le monde entier, ou presque, donc). Aussi les dichotomies entre le singulier et le collectif, le désir d’émancipation et la contrainte du rôle à tenir pour maintenir une certaine cohésion, l’intime et le politique, la petite et la grande Histoire, existent comme enjeux narratifs et de mise en scène au même titre qu’elles excèdent les spécificités culturelles ou locales.

Chaque film, cependant, pourra, au-delà des invariants thématiques, être lu comme l’exposition par le minuscule d’une réflexion sur ce que la famille contient de modélisation d’une culture nationale : la brutalité des rapports humains dans A History of violence, film américain, ou encore l’impérieuse nécessité pour un père de marier sa fille au risque de rester seul dans Le Goût du saké, film japonais. Ce questionnement identitaire comme possible fil conducteur de cette programmation révèle aussi la dimension allégorique première du corpus : la reconquête de soi, voire la rédemption, qui souvent est impulsée par la disparition (littéralement : la mort) d’un parent qu’il convient d’honorer (Volver) ou de retracer le parcours sur le mode de la tragédie, de la superposition des époques et de l’enchâssement des récits (Incendies).

La diversité des formes fera l’objet d’une attention particulière, qu’il s’agisse de leur expressivité la plus immédiate (l’animation, pour Persepolis), de leurs origines (l’adaptation d’une pièce de théâtre, pour Incendies) autant qu’il sera veillé à ce que chaque film soit situé dans le contexte d’une filmographie. Les élèves pourront par exemple découvrir ou redécouvrir J’ai tué ma mère de Xavier Dolan simultanément de la sortie de Mommy en France et ainsi envisager la figure maternelle dans l’œuvre du jeune cinéaste québécois (dans un écho possible avec ses déclinaisons dans le travail de Pedro Almodovar pour Volver), apprécier le maniérisme ludique, savant et foisonnant de La Famille Tenenbaum de Wes Anderson quelques mois après la sortie de Grand Budapest Hotel ou encore considérer que la mutation irrigue définitivement la filmographie de David Cronenberg par l’intermédiaire de A History of violence. Et cette mise en réseau s’achèvera par l’observation d’origines créatives communes, telles l’autobiographie pour Persepolis et J’ai tué ma mère.

Si toute programmation est par définition une succession de choix, induisant inclusion et exclusion, son élaboration est d’autre part liée à l’état de la distribution des films en salles, ce qui signifie que certains films n’ont pas pu être retenus pour des raisons autres que leur intérêt propre. À d’autres égards, certains seront peut-être étonnés que des cinéastes immédiatement identifiés comme figures centrales de la mise en scène de la famille (Ingmar Bergman, Satyajit ray, pour ne citer qu’eux) soient absents de cet ensemble. Mais il fallait trancher, et en dernier lieu, cette programmation existe aussi par sa capacité à générer des liens avec d’autres approches et à poser l’hypothèse de quelques filiations. C’est à cet effet que les retours analytiques sur les films concernés se feront grâce à un certain nombre de documents dont ils seront directement issus (photogrammes, séquences) ainsi que par d’autres supports permettant d’en sortir ponctuellement et de voir plus large. Avec pour objectif premier non pas de dire la vérité de chaque film mais de susciter des interrogations quant à ses particularités.


Texte publié à l'occasion de la programmation de l'Ecole de Design pour l'année scolaire 2014-2015