Le Cinematographe
Le Cinématographe
Le Cinématographe, salle de cinéma à Nantes et Education à l'image

LA SÉANCE DES CINÉ SUP'

L'Aurore (Sunrise : a song of two humans)


de Friedrich-Wilhelm Murnau



LA SÉANCE DES CINÉ-SUP • SEPTEMBRE 2023

USA, 1927, 1h37, muet
avec George O’Brien, Janet Gaynor, Margaret Livingstone
NUM • VERSION RESTAURÉE

L'Aurore (Sunrise : a song of two humans)
Un fermier tombe follement amoureux d’une jeune femme venue de la ville au point d’accepter de tuer son épouse. Il n’y parvient pas. Tous deux se rendent en ville pour une folle journée de réconciliation. Le soir tombe et c’est ivres de joie qu’ils prennent la barque pour traverser le fleuve. Une tempête se déclare, la barque chavire, la jeune femme disparaît. La tempête et la nuit sont passées… c’est l’heureuse aurore… Alors que le cinéma parlant s'apprête à envahir les écrans, le réalisateur de Nosferatu et Le Dernier des Hommes atteint avec sa première réalisation hollywoodienne une maîtrise parfaite de l'art muet alors à son apogée, multipliant les surimpressions, réduisant au maximum les intertitres explicatifs... Une merveille du cinéma expressionniste et de l'Histoire du Cinéma.

"Tout en opposant sentiments purs et séduction vénéneuse, fidélité rassurante et dangers de la passion possessive, i[L'Aurore se garde d'être une fable moraliste. Ce qui intéresse Murnau, ce sont les forces qui dominent l'homme et peuvent le faire sombrer dans les ténèbres ou le ramener à la lumière. Il inscrit ses personnages dans des plans composés comme des tableaux, et parfois même inspirés directement de certains peintres, notamment Edvard Munch. Les décors du film furent construits en fonction des plans dans lesquels ils devaient apparaître, avec des perspectives calculées pour la caméra. Une technique qui ne sera plus utilisée par la suite, et qui rend ce film spectacu­laire définitivement unique en son genre."]i Frédéric Strauss, Télérama

"La « mort du cinéma » est enfin bien morte. Lointaine semble déjà la ronde des prédicateurs qui jouaient des coudes pour être le Dernier cinéaste. Après ce requiem pompeux s’entend maintenant une autre musique, un bruissement d’insectes industrieux. Oui, le cinéma est rongé, se désagrège et se disperse, mais passé le stade de la décomposition, c’est un compost fourmillant : bribes numériques, éclats d’imageries, fripes du réel à réagencer une nouvelle fois. Nulle mort, nul terme : il nous faut réapprendre que le début et la fin, c’est la même chose, qu’on en est toujours au début de la fin. Pressentiment ancien, dont L’Aurore de Murnau fut peut-être, en 1927, le premier grand jalon, puisqu’il s’y révélait qu’une aurore est toujours aussi un crépuscule (et vice versa).
Le film est souvent présenté comme un geyser d’innocence au soir du muet, capable de rejouer sans ironie les vieux archétypes, de s’enflammer pour la bluette de deux jeunes paysans candides, en proie aux maléfices d’une tentatrice. L’Aurore serait une synthèse miraculeuse, encore en mesure de faire tenir ensemble de multiples antagonismes, dans sa manière comme dans sa matière : Europe /Amérique, film d’auteur /industrie hollywoodienne, réalisme/fantastique, jour / nuit, campagne / ville, tragique / burlesque... Un âge d’or parvenant encore à distinguer le noir et le blanc, les pulsions et l’amour, le monstrueux et le comique.Tout semble y commencer ou plutôt re-commencer, à l’image d’un couple subitement insouciant après avoir frôlé l’irrémédiable, d’un soudard prostré qui révèle, après rasage, un visage d’enfant poupin.
Aube suprême ? Certes, mais aussi hantise de la fin, d’une obscurité que nul soleil ne viendrait plus visiter - quatre ans plus tard,Tabou, l’ultime film de Murnau, s’achèvera sur une nuit noire et meurtrière. Le soleil se lève bien encore une fois au terme de L’Aurore, mais c’est un effet spécial stylisé, un astre postiche, une aurore sans lendemain. Bien sûr,
Murnau ne sait pas qu’il va bientôt mourir. Il sait en revanche que son temps est voué à se disperser : alors que le cinéma s’apprête à se laisser éventrer, avec angoisse et excitation, par l’éperon du parlant, le monde cabote anxieusement vers une catastrophe qui sera seulement, pour cette fois, économique. Monde fini, aux limites duquel on se cogne, dont aucune parcelle n’échappe à l’urbanisation de l’imagerie, à la ville (entièrement reconstituée en décors artificiels et centrée autour d’un parc d’attractions disproportionné) comme à la campagne : on a parfois résuméi[ L’Aurore à une confrontation entre « authenticité » rurale et fallacieuses lumières citadines (emblématisées par les premières visions infernales du Luna Park). La campagne apparaît pourtant, à l’évidence, aussi fabriquée que la ville : la bourgade du couple, à mi-chemin entre un village de peintre flamand et celui des Schtroumpfs, se présente comme une carte postale anachronique dès les premiers plans, tout comme le marais ténébreux, plongé dans l’exiguïté moirée d’un studio, s’apparente lui-même à une animation de parc d’attractions. Lorsque le couple se laisse aller à l’euphorie de ses retrouvailles, durant la fameuse transparence au milieu de la circulation, c’est une forêt de chromo qui apparaît en fondu, pareille à la toile peinte de sous-bois devant laquelle posent les époux, chez le photographe. Face à ce vaporeux Eden de pacotille, ils se rêvent Adam et Eve, se fantasment premier des couples,oubliant qu’ils sont plutôt les « derniers des hommes », condamnés à la reproduction de clichés préfabriqués. Privé de tout socle « naturel», ayant un lac torve comme seul soubassement, le monde se réduit à un cinéma permanent, tour à tour étonnant spectacle que l’on regarde sidéré (éclats de paysage filant à travers les vitres du tramway), et écran sur lequel on projette ses fantasmes, via la surimpression (la ville surgissant dans la nuit du marais, ou la vision de forêt au milieu de la circulation).]i Hervé Aubron, Les Cahiers du Cinéma

Séance unique

- - mardi 12/09/23 20:30