Le Cinematographe
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Le Cinématographe, salle de cinéma à Nantes et Education à l'image

CYCLES ET RÉTROSPECTIVES

Le Destin (Al Massir)


de Youssef Chahine



MÉDITERRANÉE • NOVEMBRE 2012

France-Égypte, 1997, 1h44
avec Mohamed Mounir, Mahmoud Hemeida, Khaled El-Nabaoui, Safia el-Emary, Laila Eloui

Le Destin (Al Massir)
Dans l'Andalousie du XIIe siècle, le philosophe Averroès, homme tolérant et ouvert d'esprit, est la proie des attaques d'une secte fanatique et secrète. S'il jouit au début de la protection du calife Mansour, ses ennemis parviennent à ébranler cette confiance en s'infiltrant dans les rouages politiques, au point de mener le calife à ordonner l'autodafé de tous les livres du philosophe.


"Youssef Chahine doit faire quelques envieux du côté de Hollywood. Les bons et les méchants du
Destin sont en effet les plus convaincants, les mieux dessinés, les plus hauts en couleur qu'on ait vus depuis longtemps. D'un côté, une troupe d'intégristes fanatiques en habits verts, tout à la dévotion d'un émir au regard noir et fixe, au visage émacié. De l'autre, un philosophe assez jovial, et son entourage de sympathisants, dont les deux fils du sultan. Ces petits hommes verts et ce sage barbu, Youssef Chahine n'est pas allé les chercher dans une lointaine galaxie, mais au XIIe siècle, alors que l'Andalousie (juste avant la reconquête chrétienne) était islamique, et l'Islam cosmopolite et tolérant. Le film s'ouvre sur un autodafé tragique. En Languedoc, les inquisiteurs brûlent un homme au milieu de ses livres. Son crime : avoir traduit les écrits d'Averroès, philosophe osant proclamer que "la raison est l'amie et la sœur de la loi divine", mais aussi juge, astronome et médecin à ses heures. Le fils du traducteur immolé s'en va rejoindre à Cordoue ce penseur épatant, dont les rapports avec le pouvoir (un sultan plutôt fat, un émir exalté) vont désormais fournir la trame du récit, jusqu'à son bannissement. Le plus turbulent des cinéastes égyptiens ne pouvait que sympathiser avec Averroès. Parmi ses divers démêlés avec la censure intégriste, il suffit de se rappeler ceux qui ont récemment accompagné la sortie de L’Émigré, son film précédent. Moins kitsch, Le Destin, s'il offre à l’œil tous les apparats, les palais, les sabres et les turbans de la fresque historique, manifeste ouvertement sa brûlante actualité.

Certes, Chahine, bien que très porté sur l'autobiographie, n'est pas allé jusqu'à endosser lui-même le costume d'Averroès, dont il aurait d'ailleurs un peu de mal à trouver l'équivalent contemporain (Salman Rushdie ?). Mais quand on entend l'un des hommes en vert proférer d'un ton ferme et lugubre : "A chaque gorge que je tranche, je me rapproche du paradis", on se dit que sa descendance désastreuse est tout près de nous, en Algérie. Plus loin dans le film, c'est un chanteur de raï qu'on assassine (ça ne s'appelait pas raï à l'époque, mais qu'importe), et, là aussi, un frisson bizarre vous court dans le dos.

Petit miracle du cinéma : là où tout était réuni pour faire de ce quasi-péplum un pensum à message asséné, Youssef Chahine batifole à plaisir. Rendez-vous amoureux, incendies, guets-apens, tout lui est prétexte à presser le mouvement, à faire cavaler le drame, à fouetter les conventions du genre, pourtant bien arrêtées. Tout n'est pas inoubliable au fil de ce
Destin lorgnant sur Dumas et Shakespeare. Mais tout coule sur un tempo enlevé qui contraste avec la gravité du sujet. Il y a une musique très fraîche encore au cœur de ce cinoche un peu vieux jeu, et ce n'est pas un hasard si les points d'orgue en sont les passages chantés, vrais moments de comédie musicale ­ un genre que le cinéaste aborda dès les années 50. Chaque fois, le barde Marwan est là pour signifier que le désir de vie doit l'emporter sur l'instinct de mort, qu'il s'agisse de retrouver le goût de chanter après un malheureux coup de sabot ou d'arracher le jeune Abdallah à la funeste influence de l'émir et de ses sbires. Entraînants et sensuels, placés à des moments charnières, ces airs dansés ont sur Chahine et sur son film un effet stimulant. Par opposition, les incantations monocordes martelées par les hommes verts enfoncent le clou avec une belle ironie. C'est peut-être à ce barde, autant qu'au philosophe Averroès, que s'est identifié le cinéaste. A moins qu'il ne s'imagine quelque part entre les deux, au milieu de cette" famille" idéale, bohème, soudée à l'ombre des puissants. Un petit monde fraternel où les femmes, comme souvent chez Chahine, ont un rôle essentiel. Fortes, raisonnables (et parfois divines), les fières Arabo-andalouses du Destin sont un des plus beaux pieds de nez de ce film insolent, dont on pourrait croire qu'il va finir sur la même note sombre qu'au début : des livres à nouveau flambent, des soldats font cercle autour du bûcher. Mais, cette fois, l'auteur ne part pas en fumée avec sa prose. Au passage, tape amicale de Chahine à l'Occident soi-disant civilisé, sur le thème : c'est vous qui les brûliez... Et geste magnifique d'Averroès, jetant lui-même un de ses livres au feu. La pensée vole, les idées vivront... Là se condense toute la liberté d'un film bien mieux qu'humanitaire, bien mieux qu'humaniste : profondément humain."
François Gorin, Télérama


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