Le Cinematographe
Le Cinématographe
Le Cinématographe, salle de cinéma à Nantes et Education à l'image

CYCLES ET RÉTROSPECTIVES

Le Monde vivant


de Eugène Green



RÉTROSPECTIVE EUGÈNE GREEN • MARS 2016

France, 2003, 1h15
avec Adrien Michaux, Alexis Loret, Laurène Cheilan
À partir de 8 ans

Le Monde vivant
Dans une forêt dominée par un château fort un chevalier va délivrer une belle prisonnière et des enfants promis au repas d’un ogre. Mais l’ogre sait se défendre… Un conte tout à fait conforme aux codes du genre mais truffé d’anachronismes, où la sorcière est lacanienne, la femme de l’ogre est végétarienne et les futures victimes de l’ogre sont au congélateur. Le merveilleux est là, même s’il est particulier : le lion est un labrador, l’arbre a des branches mains baladeuses et la langue fait le grand écart entre les « super ! » et les subjonctifs imparfaits. Mais la parole mène l’histoire – parole donnée, parole dite - et le conte gagne car il obéit aux lois du langage et le film avance grâce aux mots qui créent, font vivre.

"Voici un chevalier sans peur et une demoiselle à délivrer, voici un oracle, voici un ogre, voici des enfants capturés, voici un arbre enchanté qui parle et qui saigne, voici des animaux, des épées, des combats et des songes, des lévitations, des morts et des résurrections… Mais voilà que les chevaliers portent des jeans (ou plutôt des pantalons en « toile de Gênes à la mode de Nîmes », comme les nomme le réalisateur), voilà que les sorcières sont lacaniennes, que les ogres conservent les enfants au congélateur, que l’on n’oublie aucune liaison de la langue française ni aucun subjonctif, présent ou imparfait, que les lois Jules Ferry interdisent aux ogres d’être polygames – et que tout cela semble à la fois le plus étrange et le plus naturel du monde. Ainsi va Le Monde vivant, par de drôles de chemins qui déroutent en allant tout droit – tout comme Dieu qui, selon Claudel, écrit droit avec des lignes courbes. Si c’est un conte, il se passe de nos jours. Et si c’est un film d’actualité, il est aussi d’un autre âge. Il va falloir faire avec les paradoxes – à moins de réaliser que c’est nous et nous seuls, spectateurs adultes, qui voyons des paradoxes là où ne règne que simplicité, et jeu d’enfant. Pourquoi les chevaliers ne porteraient-ils pas de jeans, ne chausseraient-ils pas des chaussures antibaves? Qui l’interdit ? Pourquoi n’entrerions-nous pas dans les chapelles par lévitation ? Qui l’en empêche ? Il suffit d’être léger, très léger… Commençons par faire comme font les enfants qui posent les règles de leurs jeux, ou comme Don Quichotte qui ne cesse de répondre à son écuyer : « Tout est possible, Sancho. » Oublions-nous, oublions ce que nous croyons savoir, et ouvrons-nous, ne serait-ce qu’un moment, à la possibilité d’être enchanté. Il en va, peut-être, de notre vie et de notre mort." Jean-Charles Fitoussi, École et cinéma, extrait du Point de vue du Cahier de notes sur...

"Le Monde vivant au-delà de sa dimension d'épopée anachronique, ne lâche pas le moindre de ses présupposés, dans une posture de noble et humble intransigeance volontiers à rebours du contemporain. Témoin d'un cinéma de pure croyance, le film d'Eugène Green avance selon une ligne de conduite têtue : éthique de la discussion, éloge de l'accord verbal filmé jusque dans ses extrémités les plus sacralisées - la promesse tenue d'une résurrection, à la condition de croire davantage au verbe qu'à la chair - s'y déploiement sur un mode joyeusement volontariste. Il ouvre sur des propositions surnaturelles, sources de multiples incongruités filmés le plus calmement du monde (Nicolas pénétrant dans une chapelle au moyen d'une espèce de lévitation onctueuse). Dans son dénuement optimiste - tout fonctionne, chaque détournement déflationniste (le chien pour le lion, un lapin pour un éléphant) ou métonymique (une main pour un ogre) acquiert aussitôt un statut de convention reconnue par tous-, Le Monde vivant cherche une voie vers le hiératique, à portée de voix humaine. Le sacré selon le cinéaste n'existe que si l'on nomme, si on l'interpelle. Là naît l'unique possibilité de bâtir et habiter un monde vivant - celui que l'on revient (d'entre les morts). Il est, par la grâce d'une parole chantée dans ses atours les plus baroques, le château de tous les miracles." Jean Philippe Tessé, Les Cahiers du Cinéma, novembre 2003

Séance

samedi 12/03 15:00

> Rétrospective Eugène Green proposée à l'occasion du festival Atlantide, Les Mots du Monde à Nantes-Festival des littératures du 10 au 13 mars 2016, organisé par le lieu unique et la Cité, le Centre des Congrès de Nantes. Plus d'informations sur www.atlantide-festival.org