Le Cinematographe
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Le Cinématographe, salle de cinéma à Nantes et Education à l'image

CYCLES ET RÉTROSPECTIVES

Le Sel de la terre (Salt of the Earth)


de Herbert J. Biberman



CARTE BLANCHE CATHERINE CAVELIER • OCTOBRE 2014

USA, 1954, 1h34, VF
avec Rosaura Revueltas, Will Geer, David Wolf

Le Sel de la terre (Salt of the Earth)
Dans une ville minière du Nouveau Mexique, les mineurs d'origine mexicaine veulent bénéficier des mêmes avantages que les travailleurs blancs et se mettent en grève. La participation des femmes, tout d'abord réprouvée par les hommes, s'avère vite efficace. Le film montre comment, à partir des rapports de force entre patronat et ouvriers, entre Américains et immigrés, et entre hommes et femmes, les luttes anticapitalistes, antiracistes et antipatriarcales peuvent se rejoindre...



Séances

• mardi 21 octobre • 20:30 • invité, Xavier Nerrière, Centre d’Histoire du Travail


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"S’il est un film américain qui mérite le qualificatif de « prolétarien », c’est bien celui-ci. Sans doute est-ce le seul. Un véritable ovni en somme dans le paysage cinématographique étasunien. Prolétarien, antiraciste, anti-impérialiste et féministe, le cocktail avait de quoi effrayer les conservateurs de tout poil de cette Amérique des années 50 plongée dans la paranoïa anticommuniste et l’hystérie maccarthyste. Rappelons le contexte : la guerre froide bat son plein et la Commission des Activités Anti-Américaines s’emploie à mettre à l’index les « comploteurs communistes » dont beaucoup se cacheraient à Hollywood. Une liste noire est dressée sur laquelle figurent les artistes indésirables auxquels les studios interdisent dorénavant de travailler. Parmi eux, Herbert Biberman, Michael Wilson et Paul Jarrico, crédités respectivement comme réalisateur, scénariste et producteur du Sel de la terre.

Au lendemain de leur comparution, les trois bannis se lancent dans un projet de film indépendant et militant à l’insu même d’Hollywood et malgré les menaces. Ils se rendent au Nouveau-Mexique et tournent avec de vrais mineurs l’histoire d’une grève… racontée par une femme : Esperanza élève ses trois enfants pendant que son mari Ramon peine à la mine. A la suite d’un accident, les mineurs chicanos se mettent en grève pour protester contre le manque de sécurité et la discrimination dont ils font l’objet. Mais malgré plusieurs mois de lutte, la direction ne flanche pas et le tribunal leur interdit bientôt de poursuivre le piquet de grève sous peine d’emprisonnement. C’est alors que les femmes se proposent de prendre la place de leurs maris puisque rien ne leur interdit à elles de bloquer l’entrée du complexe. Les hommes s’en amusent d’abord, d’autres comme Ramon défendent à leur épouse de prendre leur place. Mais rien n’y fait, la détermination des femmes l’emporte. Face à toutes les intimidations et aux arrestations, elles tiendront bon, sous le regard impuissant et souvent abattu des hommes condamnés à garder les enfants et à faire la lessive. Ainsi, la lutte pour l’égalité des travailleurs se mue progressivement en lutte pour l’égalité des sexes. Et c’est bien là la grande réussite du Sel de la terre, sortir le « film de grève » du carcan viril et machiste. Sans compter que la lutte des classes reste ici étroitement liée à la question du racisme et de l’impérialisme puisque, comme le rappelle l’héroïne, les ancêtres des Chicanos sous-payés sont pour la plupart nés au Mexique avant que les USA n’annexent leur terre. Côté réalisation, les auteurs optent pour un style proche du néoréalisme italien qui fait la part belle aux images noir et blanc. La plupart des interprètes sont des amateurs, seul le rôle titre est lui confié à une actrice professionnelle mexicaine, Rosaura Revueltas. La chose est suffisamment rare pour être relevée. En effet, combien de films sociaux, même parés des meilleurs intentions, succombent à la tentation de donner le premier rôle à un homme blanc ? Pour toutes ces raisons, on ne s’étonnera pas que Le Sel de la terre ait subi une censure larvée. Taxé de « propagande communiste », il est boycotté par la majorité de salles et ne connaîtra une distribution véritable que douze ans plus tard au États-Unis. L’histoire retiendra pour sa part, de cette année 1954, le triomphe de Sur les Quais d’Elia Kazan (8 oscars) qui, s’il évoque sensiblement le même thème – la condition des travailleurs – opte résolument pour un tout autre discours."
Régis Dubois, Le Sens des images , 2006